mercredi 22 octobre 2008

Magie anglaise

"Jonathan Strange et Mr Norrel", de Suzanna Clarke, dépasse les frontières d'un simple roman. L'auteur retrace subtilement, distille lentement, au gré de notes et d'anecdotes tout au long de l'histoire des deux magiciens, Strange et Norrel, comment la magie anglaise a tenu une place de premier ordre dans l'histoire de nos voisins d'Outre-Manche. Comment également les habitants de toute la partie du pays au dessus du Yorkshire étaient et restent dévoués à leur souverain, le Roi Corbeau, attendant son retour. Ils ne sont sous la férule de l'administration britannique que de façon temporaire, d'après un vieux traité.
Les deux magiciens vont donc porter dans l'Angleterre du XIXe siècle, ennemie acharnée de Napoléon Ier, le renouveau de la magie anglaise et son soutien aux efforts de guerre de la Couronne britannique.
L'ensemble est écrit avec une légèreté et un humour so british, et ne se départit pas d'un doux parfum de scones et de gigot à la menthe.


Le livre, superbement écrit, est à lire, je pense, absolument.
Il a hélas, de par sa forme, un petit coté rebutant, dans la mesure où l'édition de poche (1200 pages écrites en caractères 7, interligne 0,8) n'a de poche que le nom. Mais la souffrance est largement compensée. Quelques faits prouvent que je ne suis pas le seul à en être arrivé au bout : 2 millions d'exemplaires vendus à ce jour, une traduction dans 17 pays, prix Hugo et Locus, roman de l'année 2004 par Time Magazine. A lire, je vous dis.
Toutefois, il faut être juste, il n'a pas plu, mais pas plu du tout à tout le monde : http://www.cafardcosmique.com/Jonathan-Strange-Mr-Norrel-de
Comme le montre cette critique du Cafard Cosmique, qui vous conseille plutot du Joyce, tant qu'à se taper des pavés.

vendredi 3 octobre 2008

Sans parler du chien

Sous ce titre étonnant, Sans Parler du Chien, se cache une petite perle telle que seuls les Britanniques savent en produire. Connie Willis réalise un roman classique de science fiction (voyage dans le temps, paradoxes temporels...) où les emprunts et hommages à "Trois Hommes dans un Bateau" de Jérome K Jérome sont nombreux. Ce dernier livre est d'ailleurs si drôle qu'il mériterait d'être remboursé par la sécurité sociale.


Quoi de plus victorien que ce roman où des nobles oisifs et touchants de naïveté s'adonnent à ce qu'ils savent le mieux faire : perdre leur temps avec une élégance nonchalante.
Petit extrait de Sans Parler du Chien (http://entrepenombreetlumiere.over-blog.com/article-15173876.html): Nos héros sont dans le passé à la recherche d'une potiche disparue :

Je ne terminais pas ma phrase car je venais de la voir. [...] Une des dames de la guilde féminine des autels avait [...] fait de son mieux pour dissimuler sa partie supérieure sous de grosses pivoines tombantes, et en recouvrant de lierre les centaures ainsi qu'un des sphynx. L'éclat du neuf avait par ailleurs tendance à estomper certains détails que mettrait en relief la patine et je la trouvais moins pénible à regarder que cinquante ans plus tard.Mais Verity ne l'avait encore jamais vue.
(Verity) — Doux Jésus ! C'est ça ? C'est positivement hideux.
(Ned) — Ça, nous le savions déjà. Et baissez la voix. [...]
(Verity) — Désolée.... J'ai subi un tel choc. Elle me montra une des décorations, d'un doigt tremblant.
(Verity) — C'est quoi, ça ? Un chameau ?
(Ned) — Une licorne. Les chameaux sont du côté oppposé, avec Joseph vendu comme esclave et emmené en Egypte.
(Verity) — Et ça ? [...]
(Ned) — L'exécution de Marie Stuart. Les victoriens aimaient l'art figuratif.
(Verity) — Et surchargé. Pas étonnant que Lady Schrapnell n'ait pu convaincre un artisan d'en faire une reproduction.
(Ned) — J'avais fourni des esquisses. Je crois que leur refus était fondé sur des considérations d'ordre moral.
Verity l'examinait en inclinant le cou. [...]
(Verity) — Vous n'exagériez pas, en la déclarant indestructible. Ce n'est pas l'effondrement d'un toit qui l'ébrècherait. En outre, ne dit-on pas que ce sont toujours les meilleurs qui s'en vont ? C'est une loi de la nature. Pas une seule bombe n'est tombée sur la gare St Pancras, pendant le Blitz. Pas plus que sur l'Albert Memorial. Et pour être laid, c'est laid. Je partageais ce point de vue. Tossie approcha, transportée de joie.
(Tossie) — Oh ! Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau !
[...] Tossie l'interrompit pour demander au vicaire :
(Tossie) — Vous le trouvez magnifique, n'est-ce pas ?
(Le vicaire) — Certes. Voila qui démontre quels sommets peut atteindre l'art moderne. [...] (Tossie) — Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau.
(Le vicaire) — Absolument. Il me rappelle l'Albert Memorial.
(Tossie) — J'adore !

Sachez toutefois que ce livre, que j'adule, est détesté par une personne sur deux. Il ne laisse en tout cas pas indifférent. Mais si vous avez un tant soit peu de goût pour la sauce à la menthe et le Chrismas pudding, n'attendez plus un instant.
Je vous parlerai prochainement d'un autre livre fantastique typiquement britannique, et peut-être même du grand Jeeves.