jeudi 16 avril 2009

Régime Sec


Sur les conseils de mon amie Lili, je me suis plongé dans Déboire, d'Augusten Burroughs. Ecrit à la première personne, et fortement autobiographique, le roman relate la vie d'Augusten, jeune et beau créatif dans une agence de publicité new-yorkaise. Augusten cumule les récompenses dans son travail et gagne très bien sa vie. Le soir, il enterre la journée avec son pote Jim, dans les bars branchés de la Grosse Pomme.
L'ennui, c'est qu'Augusten enterre trop, et enterre tous les soirs. A vrai dire, Augusten a développé un tel penchant pour l'alcool, qu'il en est maintenant totalement dépendant. Il pue l'alcool, plane durant la journée, manque ses réunions clients et fait tant et si bien que son agence lui donne le choix entre la porte et la cure de désintoxication. Il choisit cette dernière. Dans un centre gay, tant qu'à faire, afin de favoriser d'éventuelles rencontres. Il va se rendre compte qu'on ne se débarasse jamais totalement de son alcoolisme.
Un livre par moment très drôle, souvent très sombre, mais toujours profondément humain. Augusten Burroughs écrit superbement, et sa traduction en français est de très bonne qualité. Beaucoup de superlatifs donc, pour ce livre qui ne vous fera plus considérer un verre d'alcool de la même manière.

Extrait : Augusten, de retour de sa cure, retourne à son agence :
"C'est mon premier jour à l'agence et déjà, je dois gérer un truc de picole. Pondre une campagne sur la bière n'est pas en boire, mais c'est très certainement la glorifier. Je vois d'ici la bouteille verte posée sur le fond blanc et éclairée par derrière, entourée de réflecteurs pour magnifier les perles d'humidité. Malheureusement, nul besoin d'un grand effort d'imagination pour me voir ensuite lécher la capsule, boire la bière éventée et être viré pour m'être cassé la figure sur le Hasselblad.
Je vais devoir être prudent, plus que prudent. Je vais devoir me comporter comme si je me trouvais dans une zone à haut risque, en train de travailler sur le virus Ebola."

Une lecture donc que je vous recommande.

17/20

vendredi 3 avril 2009

Histoires Juives


Le Club des Policiers Yiddish, de Michael Chabon, est un roman difficile à classer. Par son côté uchronie, il est souvent comparé à Philippe Roth et son Complot contre l'Amérique, une Amerique où Lindbergh gagne les élections contre Roosevelt et instaure un régime fascisant Outre Atlantique. Il pourrait être également fait un parallèle avec Le Maître du Haut Château de Philippe K Dick, qui décrit une réalité où l'Allemagne et le Japon ont gagné la Seconde Guerre Mondiale.
Ici, l'uchronie se fonde notammennt sur la mort née d'Israel en 1948. Massacres. Juifs rejetés à la mer. Les Etats-Unis concèdent à ces apatrides et aux survivants d'Europe de l'Est une terre, en Alaska, pour soixante ans. Au jour où le roman commence, le délai est quasiment écoulé, le territoire va être rétrocédé, et une majorité de Juifs expulsés.

L'histoire dans l'histoire est policière. Noire. Le héros est un flic fatigué. Il boit trop et se laisse aller depuis quelques temps. Il faut dire qu'il a des circonstances atténuantes. Son père, survivant de la Shoah, s'est suicidé. Sa mère est morte d'un cancer. Sa soeur vient de s'écraser aux commandes de son avion. Lui s'est séparé de sa femme, après la perte de leur bébé, atteint d'une maladie héréditaire typiquement ashkénaze. Dans l'hôtel crasseux où il loge, un junkie vient de se faire descendre. Il est retrouvé face à un jeu d'échec, une balle dans la tête. Il va falloir à l'inspecteur Meyer Landzman beaucoup d'obstination pour mener son enquête, alors que très haut au-dessus de lui, il serait visiblement apprécié qu'elle soit définitivement enterrée.
Cette histoire politico-policière, par ses images pitoresques, son gris glaçant, et son enchevètrement d'intrigues, m'a rappelé le très bon American Tabloid de James Ellroy, roman de chevet pour quiconque apprécie la période Kennedy et les récits mafieux.

La toile de fond de tout cela est juive. Juive comme tous les personnages, à part quelques Gentils perdus dans ce monde hermétique, dont de gros lourdauds yankees, élevés au maïs texan, aussi droits dans leurs bottes que le héros est torturé dans les siennes. Le pincement au coeur se situe là : comme dans la lecture d'Isaac Bashevis Singer, de Sholem Alekhem ou de Sholem Ash. Le district juif de Sitka est un gros shtetl, où tout le monde se connaît. On y mange yiddish, parle yiddish, pense yiddish. Une certaine innocence a disparu, toutefois. Des souterrains ont été creusés sous la ville, pour le jour où les pogroms recommenceront.
Mais ce roman noir n'est aussi qu'un rêve de l'auteur. Car le monde yiddish a disparu, son histoire a été effacée, gommée de l'Histoire. Il ne reste qu'un goût de struddle nostalgique, que certains auteurs de talent savent encore cuisiner.