mardi 14 décembre 2010

Sombres ennemis

L'Oeil du Monde, tome 2 du cycle de Robert Jordan La Roue du Temps, a marqué à mes yeux le véritable décollage du cycle. Après un tome 1 que j'avais trouvé quelque peu plagié, du moins peu personnel, Jordan confère sa patte propre à son histoire. Une bonne dose de paranoïa, liée à l'omniprésence des agents des Ténèbres dans la population tient efficacement en haleine. Pas uniquement dans la population d'ailleurs :

Extrait, page 35 :
"Au même moment, une bande de corbeaux surgit des arbres au-dessous d'eux, une cinquantaine, non une centaine d'oiseaux noirs montants en spirale dans le ciel. Il se figea dans sa pose accroupie tandis que la bande tournoyait au-dessus des arbres. Les yeux du Ténébreux. M'ont-ils aperçu ? Des gouttes de sueur ruisselèrent sur sa figure.
Comme si une pensée avait soudain jailli dans cette centaine de petits cerveaux, chaque corbeau vira brusquement dans la même direction. Le sud. La bande disparut au-delà de la colline suivante, descendant déjà. A l'est un autre bosquet vomit d'autres corbeaux. La masse noire tourna en cercle par deux fois et partit cap au sud."

Les visites nocturnes du Ténébreux, qui hante les rêves des héros, sont angoissantes : classique phobie du rêve dont on n'arrive pas à se réveiller, et où l'on se retrouve mystérieusement vulnérable.

En revanche, la scène finale de confrontation est assez mal amenée, et étonnamment peu claire. Peut-être est-ce volontaire de la part de l'auteur, qui ainsi conserve une part de mystère à exploiter. Il n'empêche que le résultat est peu satisfaisant.

Quant aux protagonistes, Jordan ne les rend pas très sympathiques. D'aucun dirait qu'il les rend complexes. Je trouve surtout qu'on s'y attache peu, ce qui est dommage vu qu'on les voit beaucoup. Et longtemps.
Car Jordan prend son temps. Il tire à la ligne pourrait-on même dire.
Pourtant, étonnamment, la lecture est rapide et éminemment digeste.

14/20 à cette petite littérature bien agréable.

PS : La couverture n'est en rien liée au roman. Je me suis toujours demandé selon quels critères les éditeurs de Fantasy les sélectionnaient.

mercredi 17 novembre 2010

L'esprit de Tolkien

Quand j'ai ouvert La Roue du Temps, de Robert Jordan, ce n'était pas sans une certaine appréhension en pensant aux 18 volumes de la saga. Si j'avais le malheur d'aimer, je mettais le doigt dans quelque chose de conséquent.

Malheur à moi, j'ai dévoré ce roman. Comme il va de soi en Heroic Fantasy, les héros vivent dans un petit village reculé et la grande histoire va venir les chercher.
Hommage au Seigneur des Anneaux ? Le magicien de passage dans leur village(Gandalf - Dame Moiraine), le jour d'une grande fête, va les guider dans leur périple. Ils seront menés dans leur route par un guerrier/homme des bois/de noble lignée (Aragorn - Lan) Ils vont être poursuivis par des cavaliers noirs (Nazgul - Myrdraal). Dans les ruines d'une vieille cité (Khazad-dûm, Shadar Logoth), ils vont faire face à une très ancienne entité maléfique (le Balrog - Mashadar). Vers la fin du tome 1, poursuivis par des hordes du Seigneur des Ombres (Sauron - Baalzamon), qui est enfermé sous la montagne de Barad-Dûr - Shayol Ghul, la communauté va être amenée à se disperser...

Oui, ça fait beaucoup. Et pourtant, l'auteur maîtrise bien son sujet, sait donner progressivement une ampleur à sa propre mythologie, et l'on est habilement pris au jeu. Je ne parlerai donc pas de plagiat, mais d'hommages et de références.

Je conseille chaleureusement ce premier tome aux amateurs d'Heroic Fantasy. Les autres peuvent sans état d'âme passer tranquillement leur chemin.

15/20

mercredi 10 novembre 2010

Thursday III, IV et V

J'ai été contaminé par le virus Jasper Fforde. Les aventures de Thursday Next, agent de la Jurifiction, entité interne au monde des livres en charge de leur bon déroulement, et détective littéraire au sein des OpSpec britanniques lors de ses retours dans le monde réel, m'ont passionné, fait rire, accroché par leur suspens. J'ai dévoré les tomes III, IV et V : Le Puits des Histoires Perdues, Sauvez Hamlet et Le Début de la Fin.

Lors de l'une de ses premières missions, elle est capturée par les personnages secondaires d'un sombre bouquin à l'eau de rose, qui, mal et peu décrits,  dépérissent d'ennui : (Le Puits des Histoires Perdues, page 258)
"- On a commencé par des bons mots qui nous mettaient en joie pendant un bon petit moment. Ca a duré quelques mois, mais bientôt, ça n'a plus suffi ; on voulait du rire, de la gaieté, du bonheur sous toutes ses formes. Des garden-parties trois fois par mois, une fête des moissons toutes les semaines, une tombola quatre fois par jour - tout ça n'était pas assez ; on voulait... de la vraie dope !
- Du chagrin, murmura maîtresse Passante, du chagrin, de la tristesse, de l'affliction mais à haute dose. Vous avez lu Au Service Secret de sa Majesté ?
Je hochai la tête.
- C'est ça qu'on voulait. Le coeur en liesse à la perspective d'un mariage soudain brisé par la mort brutale de la mariée !
Je contemplai ces Génériques légèrement déjantés. Incapables de faire naître artificiellement des émotions dans le cadre de leur idylle rurale, ils s'étaient embarqués dans le trip méthodique des mariages forcés et des enterrements pour se procurer le plaisir recherché. Au vu du nombre de pierres tombales dans le cimetière de l'église, combien d'autres avaient déjà subi le même sort ?
- Votre mort nous anéantira, bien sûr, susurra maîtresse Passante, mais nous nous en remettrons... le plus tard sera le mieux !
- Attendez ! dis-je. J'ai une idée !
- On n'a pas besoin d'idées, mon amour, répondit maître Dupatelin, braquant le pistolet sur moi. On a besoin d'émotions.
- Combien de temps ce fixe durera-t-il ? lui demandai-je. Une journée ? Peut-on regretter quelqu'un qu'on connaît à peine ?
Ils se regardèrent. J'avais tapé dans le mille. Avec de la chance, la jouissance qu'ils tireraient de mon assassinat et de mes funérailles leur permettrait de tenir jusqu'à l'heure du thé.
- Vous avez une meilleure idée ?
- Je peux vous fournir des émotions à la pelle. Des sentiments tellement forts que vous ne saurez plus où donner de la tête.
- Elle ment ! clama maîtresse Passante froidement. Tuez-la vite... je ne peux plus attendre ! Je veux de la tristesse ! Tout de suite !
- Je fais partie de la Jurifiction. Du danger et des dissensions, je peux en importer dans ce livre plus qu'un millier de Blyton en l'espace de toute une vie !
- C'est vrai ? s'exclamèrent les villageois qui buvaient du petit lait en m'écoutant.
- Oui, et je vous le prouve. Maîtresse Passante ?
- Oui ?
- Maître Dupatelin m'a dit tout à l'heure qu'il trouvait que vous aviez un gros cul.
- Il a dit quoi ? s'étrangla-t-elle, savourant l'affront que je venais de lui infliger.
- Je n'ai jamais dit ça ! protesta maître Dupatelin, que l'indignation fit décoller à son tour.
[...]
- Je ne me rappelle plus qui m'a fait un enfant !
Un silence soudain se fit autour de moi.

- Scandaleux ! décréta le révérend. Répugnant, moralement abject... mmmm !
- Mieux que ça, ajoutai-je. Si vous m'aviez tuée, vous auriez aussi tué l'enfant que je porte ; il y aurait eu de quoi vous sentir coupable pendant des mois !
- Oui ! hurla maître Rustique. A mort !
Je levai mon arme. Ils s'arrêtèrent tout net.
- Vous regretterez toujours de ne pas m'avoir tuée, murmurai-je.
Calmés, les villageois s'abandonnèrent au sentiment de frustration engendré par mes paroles."


S'il fallait ajouter un compliment, un autre talent de Fforde s'ajoutant à sa géniale imagination, est la qualité de sa structuration. L'histoire, qui peut paraître par moment virant à l'absurde, n'abandonne jamais sa cohérence interne, et aucun fait, même le plus farfelu, ne manque d'une justification en conclusion.

Un bonheur de lecture.
Le Puits des Histoires Perdues et Sauvez Hamlet : 17/20
Le Début de la Fin : 16/20, mais une véritable ampleur retrouvée à mi-roman.

lundi 8 novembre 2010

Trois jours à New-York

L'Attrape-coeurs, de JD Salinger, est un roman se déroulant tout du long à la première personne, dans les yeux d'un adolescent de seize ans, Holden Caulfield, élève dans une pension chic de Nouvelle Angleterre. Problèmes scolaires et relationnels vont aboutir à son renvoi, et à sa fugue à New-York.
Durant trois jours, il va, au fil de ses rencontres, sombrer lentement ou trouver des planches de salut.

Difficile de décrire la finesse de ce grand livre, son approche psychologique, la richesse de ses non-dits. Je n'avais pas été aussi admiratif de l'approche et de la description du schéma de pensées de personnages depuis le Domaine et le Manoir d'Isaac Bashevis Singer.

Roman magnifique, rempli de couleurs, d'espoirs et de tendresse, ce classique publié en 1951 n'a pas pris une ride.

Il paraît que tout le monde a déjà lu ce classique. Je suis heureux d'avoir réparé mon retard.

19/20

mardi 28 septembre 2010

Rat de bibliothèque

Firmin, de Sam Savage, conte l'histoire d'un rat se découvrant un fort appétit pour les livres. Appétit d'abord purement physique mais rapidement spirituel.

Roman philosophique, bien emmené, frais et d'une lecture hautement agréable, du moins entre les pages 80 et 120 (en gros). Le début est d'une pédanterie intellectuelle rare qui ne le dispute qu'à l'ennui. La fin aussi.
Au total, la qualité principale de ce court opuscule est sa longueur.

Extrait p31 :
"Parfois, j'entamais les livres par la tranche que je léchais, mordillais, savourais puis mangeais, mais la plupart du temps, si je parvenais à soulever la couverture, je les attaquais par le milieu comme la perceuse. J'adorais les éditions Modern Library, peut-être à cause de leur logo - un coureur portant une torche - et en choisissait un exemplaire le plus souvent possible. Il m'est arrivé d'imaginer que j'étais, moi aussi un coureur portant une torche. Et quels livres j'ai découvert durant ces premiers jours enivrants ! Aujourd'hui encore, il me suffit d'en réciter les titres pour avoir les larmes aux yeux. Alors récitez-les lentement, à voix haute et laissez-les vous briser le coeur. Oliver Twist, Les Aventures de Huckleberry Finn. Gatsby le Magnifique. Les Ames mortes. Middlemarch. Alice au Pays des Merveilles. Pères et Fils. Les Raisins de la Colère. Ainsi va toute chair. L'Amérique Tragique. Peter Pan. Le Rouge et le Noir. L'Amant de Lady Chatterley."


Sentant à nouveau une douce torpeur m'envahir, je m'arrête là. Sans noter.

PS : Nombre de gens fort bien ont hautement apprécié cet ouvrage. Je ne revendique aucune objectivité.

jeudi 16 septembre 2010

BD BD BD

Les 25 et 26 septembre se tiendra le Festiblog, festival des blogs BD.
La qualité et la diversité des auteurs de BD sur le net vaut bien un coup de chapeau.

Dans "Blogs que j'aime", des liens vers les blogs BD de Boulet et Vidberg, pour qui j'ai un grand faible.

lundi 23 août 2010

Entre les lignes

Euphorisant. Délivrez-moi, deuxième tome des aventures de Thursday Next, enquêtrice littéraire au sein de la Division des Opérations Spéciales (on dit les OpSpecs), par Jasper Fforde, est totalement euphorisant.

Thursday, qui a le pouvoir d'entrer dans les livres et d'en modifier l'histoire, a lors d'une précédente mission, enfermé un criminel notoire dans un poème de Poe, le Corbeau ("qui a mis le Poe dans poème ?", dit joliment l'auteur). Parallèlement, elle a d'ailleurs mis fin à la guerre de Crimée, qui se poursuivait entre le Royaume-Uni et la Russie depuis plus d'un siècle.
Devenue médiatique suite à ses exploits, elle va faire l'objet d'un chantage pour délivrer l'individu. Ses ennemis n'ont pas hésité à éradiquer son compagnon, par une subtile intervention peu avant sa naissance, afin de faire pression sur elle. Il n'existera à nouveau que si elle se soumet.

Extrait p95 :
- Je vois mal Mycroft prendre sa retraite, commentais-je tandis que nous marchions sur le trottoir.
- Moi aussi, dit Landen. Que crois-tu qu'il va faire maintenant ?
- Regarder Kezako Quiz, très vraisemblablement. Il prétend que les feuilletons et les jeux télévisés sont le meilleur moyen de partir en douceur.
- Il n'a pas tort. Après plusieurs années de 65 rue Morse, la mort peut apparaître comme une distraction bien venue.


Roman foisonnant d'idées et d'humour, fou mais pas trop, voilà une lecture plus que recommandable.


17/20

lundi 16 août 2010

Temps mort

R.J. Ellory a écrit Seul le Silence. Il l'a écrit en noir et blanc pour toute la partie se déroulant dans l'Amérique des marais de Géorgie, et a rajouté brièvement quelques touches de couleur pour celle à New York. Curieuse et troublante coexistence de ces deux planètes au sein d'un même pays.
Le roman s'étale sur une trentaine d'années, invitant à suivre le narrateur alors qu'il n'est encore qu'un jeune garçon dans sa traque d'un tueur de petites filles. Un tueur dont l'horreur touche à l'indescriptible.


Ellory a le don de la description :
P226 : Le shérif Burnett Fermor, l'air dur, le visage comme un amas d'angles biscornus, le pouce de la main gauche bien enfoncé sous son ceinturon, la paume de sa main droite posée sur la crosse de son revolver.
"Tiens, salut, mon gars", lança-t-il d'une voix traînante. Les muscles de sa mâchoire se contractaient lorsqu'il parlait. Il plissait les yeux à cause du soleil, ce qui lui donnait l'air de quelqu'un sortant d'une cave et découvrant la lumière du jour, quelqu'un qui aurait été enfermé au sous-sol pour sa sécurité et celle des autres.

On le hait et on le craint, ce flic, alors qu'il n'a encore rien dit, rien fait. Grand Ellory.

P379 : Balloté dans un véhicule exigu et sans air, je découvrais les sons et les odeurs de gens différents : un soldat derrière moi, des décorations en loques agrafées autour du bord de son chapeau, des mélodies jaillissant d'un harmonica fêlé qu'il tenait à la main, son esprit perdu dans quelque sombre souvenir d'Europe qui le hanterait à jamais. J'avais l'impression d'entendre des fantômes. Une femme âgée, son visage comme un parchemin dont le message aurait été effacé, les yeux tels des trous percés dans la lueur du jour pour trouver la paisible obscurité de l'autre côté. [...] Serrés les uns contre les autres tandis que la nuit approchait, tandis que nous descendions du bus dans des villes comme Goose Creek et Roseboro, Scotland Neck et Tuckahoe, dans des motels bons marchés. Draps fins et murs gris, couvertures trop maigres pour couvrir à la fois nos visages et nos pieds, tremblant inconfortablement, défiant la nature, luttant contre l'insomnie.

Le narrateur ne le précise pas, mais le lecteur sait bien au fond de lui-même que le temps est gris et qu'il pleut.

Après, et je m'en excuse auprès de ceux qui m'ont conseillé ce splendide roman - un roman de désespoir, un roman dont couleur et chaleur ont été bannies- je ne retire que de la douleur à lire un texte aussi sombre. Uniquement sombre, je n'ai rien su en tirer d'autre. Je ne saurais donc le recommander malgré sa beauté.

17/20

vendredi 23 juillet 2010

C'est un lupus ?

Avant d'incarner le Dr House, Hugh Laurie était déjà non seulement un excellent acteur, mais également un écrivain inspiré. Surfant avec à propos sur sa nouvelle notoriété, son éditeur a ressorti un polar qu'il écrivit dans les années 90, Tout est Sous Contrôle.
On ne peut pas parler de chef d'oeuvre ni de style, ni de construction, ni même de scénario. Toutefois, Hugh Laurie est très drôle, manie l'humour british avec brio et a un sens de la réplique, et de la digression, remarquable. Les qualités du roman l'emportant donc nettement sur ses carences, la lecture s'en fait toute seule, avec plaisir et facilité. C'est une distraction de qualité.

Deux mots de l'histoire : Thomas Lang est un ancien soldat britannique, reconverti en privé/garde du corps. Il va être entrainé à son corps défendant dans une machination terroriste ourdie par un quelconque machiavélique complexe militaro-industriel.

Extraits :
P28 : "D'une façon générale, les policiers n'aiment pas qu'on leur soumette de nouvelles affaires. Non qu'ils soient paresseux. Comme tout un chacun, ils cherchent un sens, une logique dans ce grand bazar d'aléas et de malheurs qui est leur champ d'investigation. Si on les appelle sur les lieux d'un massacre alors qu'ils essaient de coffrer un voleur d'enjoliveurs, ils ne peuvent s'empêcher de jeter un coup d'oeil sous le canapé au cas où les enjoliveurs seraient là."

P54 : "A une heure moins le quart, assis à une table de Simpson, je diluais mes déconvenues de la matinée dans une grande vodka-tonic. Beaucoup d'autres clients étaient américains, c'est pourquoi le roti de boeuf partait plus vite que l'épaule d'agneau. Les Ricains ne se sont jamais habitués à manger de l'ovin. Ils doivent croire que ça fait pédé." 


J'aime cet humour. Et donc m'étant bien amusé, je recommande chaleureusement cette petite chose.

15/20

mercredi 14 juillet 2010

Flop

Un livre a-t-il une date de péremption à l'instar d'un pot de yaourt ? Je me réjouissais de lire Trois Hommes dans un Bateau, de Jérome K Jérome. Victorien, supposé hilarant, voilà une lecture plaisir par excellence.

Sauf que non. De même que les pétomanes et le gag de la tarte à la crème, l'humour de ce livre a pris un épouvantable coup de vieux. Ajoutons-y des références à l'actualité des années 1880 totalement incompréhensibles pour quiconque n'a pas passé une thèse sur le sujet et une traduction française qui, selon des amis qui se lancèrent dans la lecture en même temps que moi, sur mon conseil qui plus est (a priori, ils ne m'en veulent plus) laissait de côté nombre de gags trop british pour franchir le Channel.

Pour en revenir à l'histoire, trois jeunes gens de bonne famille partent canoter sur la Tamise, afin de s'y détendre et profiter du bon air. L'histoire n'a aucun fil directeur passée la montée sur le canot et n'est que prétexte à de longues digressions sur tout et rien.

Il demeure toutefois de bons moments. Extrait page 110 édition Flammarion :
"Tous nos trésors d'art d'aujourd'hui ne sont que les banalités déterrées d'il y a trois ou quatre cents ans. Je me demande s'il y a une réelle beauté intrinsèque dans toutes ces vieilles assiettes à soupe, ces chopes à bière, et ces éteignoirs que nous prisons tellement aujourd'hui, ou si c'est seulement le prestige de l'antiquité qui, en auréolant ces objets, leur confère un tel charme à nos yeux. [...] Et en sera-t-il de même dans l'avenir ? Les trésors précieux d'aujourd'hui seront-ils toujours les bagatelles bon marché de la veille ? Verra-t-on des rangées de nos assiettes à fleurs s'aligner au dessus des marbres de cheminées chez les gens cossus de l'an 2000 et quelques ?"


Page 235 :  
"Evidemment, le fait qu'ils l'avaient pris pour un ami excusait tout. Cela me rappelle l'aventure que Harris me raconta un jour lui être arrivée à Boulogne. Il nageait près de la plage lorsqu'il se sentit brusquement saisi au cou par derrière et plongé de force sous l'eau. Il se défendit vigoureusement, mais celui qui l'avait empoigné devait être un véritable hercule, et toutes ses tentatives pour lui échapper furent vaines. Harris avait cessé de se débattre et tournait déjà son esprit vers des pensées graves quand son bourreau le lâcha.
Il reprit pied, cherchant des yeux celui qui avait failli être son meurtrier. L'assassin était à côté de lui, riant de tout coeur, mais à l'instant même où il vit émerger de l'eau le visage de Harris, il fit un bond en arrière et eut l'air absolument navré.
- Oh je vous demande bien pardon, balbutia-t-il tout confus, mais je vous prenais pour un de mes amis. 
Harris s'estima fort heureux que le farceur ne l'eut pas pris pour un parent, car dans ce cas, il l'aurait carrément noyé." 

En résumé, le livre semble bien long. Le lecteur aimerait s'y amuser. Hélas, il s'ennuie la plupart du temps. Ce qui est extrêmement frustrant.


11/20

mardi 22 juin 2010

Peace and Love

Deux prix Hugo, l'un en 1960 et l'autre en 1963. Pour le premier, Starship Troopers, Robert Heinlein se fit parfois taxer de militariste fascisant. Le second, En Terre Etrangère, fait l'apologie de l'amour libéré et de l'anarchie comme modèles pour sauver le monde. Chacun des romans donne lieu à de longues digressions aux dialogues quasi-socratiques, et dont les conclusions valident ces deux idéologies a priori opposées.
Comprendre ce semblant de contradiction, c'est comprendre Heinlein, qui n'aime rien tant que démontrer tout et son contraire avec le sérieux, mais également la gouaille, d'un philosophe de comptoir.

Comme le dit en son temps le cardinal Du Perron à Henri III : « Sire, j'ai prouvé aujourd'hui par raisons très bonnes et évidentes, qu'il y avoit un Dieu ; demain, Sire, s'il plaist à Vostre Majesté me donner encore audience, je vous monstrerai et prouverai par raisons aussi bonnes et évidentes qu'il n'y a point de Dieu ». Le roi hélas goûta peu le mot d'esprit. Le lecteur d'Heinlein, lui, est d'avantage d'humeur pour ce genre de jeux.


En Terre Etrangère conte l'histoire d'un Martien, Valentin Michael Smith, en fait premier humain né sur Mars, suite à la première expédition martienne dont il fut l'unique survivant. Récupéré vingt ans plus tard par l'expédition suivante, il arrive sur Terre où il découvre les traits de caractère des Hommes tel un nouveau Candide parcourant le monde.
Le roman commence comme de la SF et devient progressivement un conte philosophique. Les pouvoirs du jeune homme lui permettent de ne pas se contenter d'un rôle d'observateur mais d'entreprendre de changer le monde.

Attention, la philosophie de Heinlein est à prendre au second degré, sous peine d'être imbuvable, tant il se complait dans le sexisme, la mièvrerie religieuse et une certaine forme de racisme. "Mais il est sérieux, là, où il plaisante ?" est la question que se pose sans cesse le lecteur éclairé de Heinlein. L'autre, le non-éclairé, y patauge allègrement tel le cochon dans sa mare boueuse. De là à y voir une explication de l'énorme succès de cet écrivain outre-atlantique, il y a un pas que je ne me risquerais pas à franchir. Pour Gérard Klein, sémaphore de la science-fiction, Heinlein est une clef essentielle pour comprendre l'Amérique.

Au final, une lecture originale, souvent déconcertante, mais qui traine un peu en longueur. A lire dans l'herbe pendant l'été, en écoutant une mélopée indienne des Beatles, pour se prendre pendant quelques heures pour un hippie.

14/20

samedi 29 mai 2010

Sweet Sixties

Tout commence par des coups de feu en novembre 1963 pour se terminer par d'autres coups de feu en juin 1968. De Jack à Bob. Deux Kennedy assassinés. L'un était Président, l'autre en passe de le devenir.
Entre les deux, la mafia, le FBI de M. Hoover, le Klan, le combat de Luther King pour les droits civiques, le rachat de Vegas par Howard Hugues et la spirale du Vietnam. Cinq ans de l'histoire des Etats-Unis vus par James Ellroy.
American Death Trip, deuxième volet de sa trilogie, est une somme. Un pavé dont on ressort groggy. La tête pleine d'images. Ce péquenaud de Lindon Johnson, Rock Hudson et les garçons, Rita Hayworth la poivrote, Hugues, ses transfusions de sang et ses fidèles mormons…

Ellroy, un talent fou pour dessiner un tableau en trois mots.

A Mexico. Extrait :
"Un Mex apporta du café. Ledit Mex dégoulinait d'obséquiosité.
De grandes dents. De grandes courbettes. Consentement maximum.
Pete se prélassait. Pete appréciait la panaderia. Pete se goinfrait de petits pains. A l'aide de ruban adhésif, Pete fixa son arme sous la table.
La détente était à ras du plateau. Le silencieux fonctionnait. Le canon était pointé sur le siège d'en face.
Pete sirotait son café. Pete se frotta la tête. Mexico - niet.
C'est un trou à rats. Rempli de mendiants et de crottes de chiens. Donnez-moi plutôt la Havane d'avant Castro."

A Saigon. Extrait :
"Saigon, 19 mars 1968.
Tu es de retour.
C'est vivant. C'est violent. C'est le Vietnam.
Regarde les essaims de soldats. Regarde les niacoués repliés sur la capitale. Regarde lesdits niacs qui parlent du Têt. Regarde les temples aux entrées murées. Regarde les convois de camions. Regarde les canons de la DCA.
Tu es de retour. Regarde ça. Saigon 68.
Le taxi se trainait. Les camions le serraient. Des camions d'armement. ; des camions de ravitaillement ; des transports de troupes. Des gaz d'échappement jusqu'à hauteur de pare-brise. Des particules de gasoil qui piquent les yeux."

Un époustouflant voyage dans l'histoire américaine des années soixante, très éloignée de Happy Days.

17/20

mardi 18 mai 2010

Guernica

Une artiste allemande, Lena Gieseke, a disséqué en trois dimensions Guernica, le tableau de Picasso commémorant la tragédie de cette ville durant la Guerre Civile en Espagne. Le résultat est émouvant.

Voilà une occasion de (re)lire l'Espoir, d'André Malraux, roman contant admirablement l'engagement des forces républicaines durant la Guerre d'Espagne.




mardi 4 mai 2010

Tout ça pour un bouquin

Est-ce le lecteur qui change ou le livre ? Peut-être les deux. En tous les cas, le Livre d'Hanna, de Geraldine Brooks s'est révélé au fil des pages une lecture de plus en plus facile. Je trouvais au départ le style de l'auteur d'une telle platitude que le fond de l'histoire, les scènes les plus poignantes glissaient sur moi telle l'eau sur le canard.


Et pourtant, l'auteur en fait des tonnes dans le poignant. L'héroïne, Hanna, une Australienne spécialisée dans la conservation des vieux manuscrits, est appelée en Bosnie pour prendre soin d'un livre inestimable qui a miraculeusement refait surface après la guerre civile en ex-Yougoslavie : la haggadah de Sarajevo. C'est-à-dire le livre de prière dans lequel les Juifs lisent une fois l'an, à Pâques, le récit de la sortie d'Egypte et les exploits de Moïse-Charlton Heston.

L'étude qu'Hanna fait de cette fameuse haggadah l'amène à découvrir des pans de son histoire, et de celle de ses souvent malheureux propriétaires, depuis sa création dans l'Espagne des Almohades. Succession de tableaux historiques à rebours : la second guerre mondiale et les Oustachis, Vienne à la fin du XIXe siècle, Venise au XVIe, Grenade en 1492 et cette salope d'Isabelle la Catholique (ça m'a choqué aussi, mais ce serait son surnom historique).

Vous ne pleurez pas encore ? Alors pour que le pathos soit total, l'héroïne va régler en parallèle des comptes avec sa maman, les hommes et son surmoi.

Bourré d'émotions tout cela. D'émotions qui ne passent pas ou si peu. Reste une somme de tableaux historiques joliment dépeints, une morale sur les hommes qui sont tous des frères par delà leur différences qui fait bien chaud au cœur, et une œuvre tellement pleine de bonnes intentions et qui se donne tellement de mal pour ne blesser personne qu'on a envie de dire à l'auteur d'oublier son politiquement correct de temps en temps.

Jamais je n'oserai critiquer ce livre, il part d'une si bonne intention. Lisez-le, c'est bien mignon, et ça cultive incidemment.

15/20

PS : J'en profite pour hautement conseiller le Livre de Saphir, de Gilbert Sinoué. L'action se déroule également en 1492 en Espagne et tourne aussi autour d'un livre, la fraternité entre les hommes et les religions du Livre est magnifiquement dépeinte, et l'auteur est un puits de culture. Un livre grandiose.

lundi 12 avril 2010

La Peste

Le Grand Livre, de Connie Willis, est un roman à multiples facettes. Il joue sur plusieurs registres et plusieurs époques. A la fois livre de science-fiction (sur la problématique des voyages dans le temps) et historique (la moitié du roman se déroule au Moyen-Age). Tantôt comique et tantôt tragique, l'intrigue se déroule en parallèle sur deux époques.

Les hommes face à une épidémie : leurs peurs, leur bravoure, la recherche du bouc émissaire, le rôle de la religion. Malgré tout le confort de la technique moderne, l'homme face à une épidémie mortelle n'a pas changé à travers les siècles.

Bien sûr, l'auteur prend son temps, développe à loisir un style chaotique, parfois légèrement fatiguant. Et il est vrai que l'ouvrage ne prend toute son ampleur que dans sa seconde moitié (soit au bout de 300 pages).

Mais quel talent, quel foisonnement d'idées. Et surtout, Connie Willis aime surprendre son lecteur et l'emmener sur des sentiers volontairement très inattendus et déstabilisants.


C'est la deuxième fois que je lis ce pavé, et je n'ai aucun regret.

17/20

PS : Prix Hugo, Locus et Nebula, tout de même. Ils sont peu à avoir fait le grand Chelem.

mardi 23 mars 2010

Etre et avoir été à nouveau

Il en a fait quatre, Poul Anderson, des recueils de nouvelles sur la patrouille du temps. Je finis à peine le deuxième, et ce sera pour moi a priori la fin du cycle.
Pourquoi tant de haine, me direz-vous ? Elles sont pas belles, les histoires ?

Si si. Dans ce tome, trois nouvelles : l'une se situe à Tyr, à l'époque du roi Hiram (contemporain de Salomon), l'autre chez les Ostrogoths au IVe siècle et la troisième sous le règne de Philippe le Bel, quand ce dernier s'en prit à l'Ordre du Temple (et à son or). L'auteur a bien travaillé : son héros ne s'exprime quasiment que par citations (cette envie que nous avons tous de montrer à quel point nous connaissons bien un sujet quand nous en avons l'occasion). La lourdeur du savoir encyclopédique plaqué sur la page frisait le Jacques Attali.

Allons au fait : Primo, l'auteur n'arrive pas à gérer la notion de paradoxes temporels. Il conte les démêlés d'une patrouille du temps chargée de préserver la trame historique, sachant que lorsqu'un énergumène venu de l'avenir engendre un changement, celui-ci prend sa place dans l'Histoire. Bref, faute de règles clairement posées, le lecteur se contente de suivre en souriant gentiment, et surtout en évitant de se poser trop de questions : le scénario ne tiendrait pas le coup. La deuxième nouvelle, le Chagrin d'Odin le Goth, est la seule qui vaille la peine d'être lue, de par sa construction originale.
Secundo, la platitude du style et les conclusions bâclées deviennent insupportables au bout d'un moment.

Il est grand temps de passer à autre chose. Le livre n'est que partiellement recommandable, et encore aux amateurs de SF strictement.


13/20

PS : Le Belial se vante d'éditer enfin en France la suite d'un des "plus grands cycles de la science fiction". Dans le fond, si cela n'avait pas été édité avant, il y avait une raison.

mardi 16 mars 2010

Etre et avoir été

Classique de la science fiction, La Patrouille du Temps, de Poul Anderson, s'attaque au très délicat sujet des voyages dans le temps. Dans un million d'années, les Danelliens, avenir ô combien développé des humains, ont totalement maîtrisé le voyage dans le temps. Leur problème, c'est qu'ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Ils craignent une chose par dessus tout : que des perturbateurs les effacent purement et simplement en changeant le cours de l'histoire, volontairement ou non, lors d'une incursion dans le passé.


Les Danelliens ont donc créé la patrouille du temps. Des bureaux sont répartis à travers les âges de l'humanité. Ils recrutent dans chaque période des patrouilleurs dont l'objectif est de s'assurer que "tout se passe bien comme prévu". Le cours du temps est résistant. La mort d'un animal, un épisode inattendu dans la vie d'un ou plusieurs hommes, le décès prématuré de l'un ou l'autre, n'aura généralement pas de conséquence. La trame générale y résiste et corrige le tir toute seule. Toutefois, certains points sont plus sensibles et demandent à être plus particulièrement protégés.

Lecture intelligente, originale et agréable, je ne peux que recommander ce court livre au rythme nerveux et efficace, bien traduit (on est chez J'ai Lu, il y a des traducteurs et des relecteurs chevronnés, mes amitiés à ce sujet aux éditions Bragelonne et Milady, à l'antipode).

Extrait : Le recrutement du narrateur, qui n'a fait pour le moment que répondre à une annonce dans le journal :

"Hum... ça ne vous ferait rien de saisir ces poignées sur les bras de votre fauteuil ? Merci. A présent, quelles sont vos réactions devant un danger d'ordre physique ?
Everard se hérissa. "Ecoutez..."

M. Gordon jeta un bref coup d'œil sur un instrument posé sur son bureau, un simple boîtier avec une aiguille et deux cadrans. "Peu importe. Quelle est votre opinion de l'internationalisme ?"
- Dites donc...
- Du communisme ? Du fascisme ? Des femmes ? Quelles sont vos ambitions personnelles ? ... Ce sera tout, vous n'êtes pas obligé de répondre. "

Richesse des idées et des tableaux, rythme et concision viennent ainsi heureusement compenser une absence de style, une psychologie des personnages très limitée, des conclusions brouillonnes, et des nouvelles de niveau inégal. Anderson a clairement du mal à développer ses idées. Loin d'être un monument de la SF classique aux côtés des Asimov et Heinlein, en dépit des efforts de ses fans outre-Atlantique, l'auteur donne toutefois l'occasion de lire de la série B de très bonne facture.

14/20

Conjuration

La Conjuration des Imbéciles, de John Kennedy Tool, est un roman que sa genèse seule rendrait déjà extraordinaire. Premier roman de l'auteur, ce dernier se suicida en 1969, suite à la déprime qu'avait engendré le refus des éditeurs de le publier. Les efforts incessants de sa mère finirent par aboutir à la publication, qui fut suivie d'un prix Pulitzer en 1981. Une histoire aussi noire et ironique que le ton de l'ouvrage.

Nouvelles Orléans, début des années 60. Le "héros", Ignatius J Reilly, la trentaine, vit chez sa mère. Obèse, il se complait dans la plus totale inactivité, ne sortant que pour aller au cinéma (et y décrier les infects films que l'on ose y projeter). Misanthrope, il passe sinon le plus clair de son temps à noircir des cahiers dans sa chambre. Il y étale son rejet du monde moderne, totalement décadent, s'appuyant sur les écrits des Anciens (Platon, Boèce tout particulièrement) et de théologiens moyen-âgeux.


Obligé de chercher du travail pour des raisons bassement matérielles, il va être confronté à ses contemporains, occasion pour l'auteur de dresser une description colorée de la Nouvelle Orléans : usines délabrées, pauvreté des Noirs, quartiers à touristes et jeunesse dorée. La verve de Tool rend l'ensemble du tableau comique, effet particulièrement renforcé par le fossé séparant la vision du monde de Reilly de celui de ses contemporains. Egocentrique, bouffi d'orgueil, menteur et malhonnête, Reilly se rend totalement  détestable, malgré sa fine intelligence.

A lire, rien que pour la finesse du portrait du Sud des Etats-Unis dans les années 60.

16/20

PS : Merci à Hilaire pour m'avoir fait découvrir ce grand roman

jeudi 11 mars 2010

Les Voies du Ciel

Un Cadavre de Trop, de Ellis Peters, est une enquête policière menée par le moine Cadfael. Ancien soldat, riche d'une dizaine d'années aux croisades et de nombreuses aventures, il a décidé de finir ses jours en cultivant son jardin, au sein d'une abbaye. Heureux qui comme Ulysse...

1138 est temps de guerre fratricide dans la vieille Angleterre entre deux prétendants au trône : Stephen et Mathilde. La prise d'une place fidèle à Mathilde par l'armée de Stephen est suivie de la pendaison de la garnison. Quatre-vingt quatorze hommes. Tout se complique lorsque Cadfael en découvre un quatre-vingt quinzième. Il se fait confier l'enquête. Le roi est outré qu'un misérable ait osé camoufler son crime au milieu de sa sainte colère.

L'enquête aurait pu être passionnante, si elle n'avait été si tirée par les cheveux. Florilège :
- Le moine et son apprenti retrouvent par hasard le témoin capital du meurtre.
- Le moine retrouve un morceau de pommeau de dague serti d'une pierre précieuse sur la scène du meurtre.
- La dague est une pièce unique.
- Le moine tombe par hasard sur un enfant qui a vu un homme jeter la dague dans le fleuve.
- L'enfant a remonté la dague.
- L'enfant peut reconnaître l'homme.

Quand on a la Providence autant avec soi, je ne connais nulle enquête qui n'aboutisse. C'est certainement l'un des avantages d'un moine.

L'auteur ayant un penchant non dissimulé pour l'eau de rose, l'ensemble de l'ouvrage en est aspergé, jusqu'à une fin dont la douceur frise le loukoum. Ames sensibles, dormez en paix.

Bref, un bon divertissement qui se lit agréablement, pour lecteur fatigué.

12/20

mercredi 17 février 2010

Elémentaire, mon cher Whicher

L'Affaire de Road Hill House, de Kate Summerscale, relate dans le détail un fait divers réel, arrivé en 1860 dans une petite ville industrielle anglaise : l'assassinat sordide d'un jeune enfant. Très vite, la police va se heurter à la sacro-sainte notion du respect du foyer anglais, considéré comme une forteresse que ni l'Etat ni personne n'a de légitimité à troubler.
Le souci du détail déployé par l'auteur est clinique. Rien n'est épargné au lecteur, et ce dès le prologue :
"Le dimanche 15 juillet 1860, l'inspecteur principal Jonathan Whicher, de Scotland Yard, paya deux shillings au conducteur du fiacre qui le transporta de Millbank, quartier situé à l'ouest de Westminster, à la gare de Paddington, terminus londonien du Great Western Railway. Là, il prit deux billets : l'un, pour la somme de sept schillings et dix pence, à destination de Chippenham dans le Wiltshire, trajet de quatre-vingt-quatorze miles, et l'autre qui moyennant un schilling et six pence, lui ferait ensuite couvrir les vingt miles séparant Chippenham de Trowbridge."
Autant dire qu'avaler les 430 pages fut long, très long, d'autant plus que je n'ai jamais au fond de moi, voulu connaître avec un tel luxe de détails aussi insipides qu'inutiles, l'Angleterre victorienne.

Quelques notions et anecdotes intéressantes restent ancrées dans l'esprit du lecteur d'autant plus courageux que le suspense lié à l'histoire est inexistant (volontairement, on n'est pas là pour s'amuser mais pour compter les pence). J'ai ainsi appris que le terme clue (indice) vient de clew (fil) lui-même faisant référence au fil d'Ariane. Maintenant, vous le savez aussi, et sans avoir lu le livre, veinards que vous êtes.

Le retentissement de l'affaire dans les journaux de l'époque, la personnalité du détective Whicher en charge de l'enquête, les débuts du roman policier à la même époque (Poe venait de créer son détective Auguste Dupin, précurseur de Sherlock Holmes), l'implication directe d'écrivains tels que Dickens dans l'affaire, l'utilisation de théories scientifiques plus ou moins farfelues pour élucider le mystère, auraient pu rendre l'idée d'ensemble sympathique. Pourquoi une telle froideur dans l'analyse ? 

Bon. Voilà qui est chose faite. Maintenant, je vais essayer de me persuader à nouveau que la lecture peut également consister en un moment agréable.

PS : Telerama trouve le travail de l'auteur remarquable (et je ne dis pas le contraire), ce qui me renforce dans mon opinion : http://www.telerama.fr/livres/l-affaire-de-road-hill-house,29366.php

PPS : Auguste Dupin apparaît dans la remarquable nouvelle d'Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, à lire absolument.

jeudi 28 janvier 2010

Occultisme, symbolisme et crustacés

Bon, une bonne chose de faite, j'ai fini le dernier Dan Brown. Petit effort de concentration, afin de me remémorer le titre... Voilà : Le Symbole Perdu.

Heureusement que j'avais tiré un certain plaisir (relatif) de la lecture des deux précédents : le fameux Da Vinci Code et Anges et Démons (ce dernier se passe à Rome et fut mon préféré).
De même que le Guide du Routard ou le Lonely Planet, Dan Brow sort une nouvelle destination par an : après Rome et Paris/Londres, visite de Washington. Merci de ne pas oublier le guide.



Bon, en résumé, ce bouquin est le copier coller des précédents, en changeant les noms et quelques énigmes. Le héros et l'héroïne de service tentent d'échapper à la CIA (on ne sait pas très bien pourquoi, eux non plus, mais ça donne du rythme). Le méchant, qui est vraiment très méchant, sème les morceaux de cadavres (là encore, on ne change pas une recette qui gagne). Une mauvaise langue pourrait dire que Dan Brown compense la platitude de son style par le sadisme de ses mises en scène.

Le scénario est truffé d'invraisemblances. Je ne parle pas de l'enjeu, qui est comme d'habitude le destin de l'humanité, mais simplement du déroulement. Mon gag préféré est un classique :
Le méchant tue tous ceux qui lui passent sous la main sans état d'âme ni perte de temps. Tout le monde, sauf les héros. Eux, il leur réserve un sort plus terrible. Pour le héros, jamais de "paf entre les deux yeux"... ce serait trop simple. Plutôt une mise à mort via un dispositif complexe et long auquel le sinistre personnage n'a pas le temps d'assister.

Enfin, il y a le style Dan Brown. Les héros, qui passent la moitié de leur temps à courir pour échapper à la CIA et sauver le monde, passent l'autre moitié à philosopher tout en faisant des expériences de chimie amusante et de jeux de plage mathématiques sur une petite pyramide détentrice de bien grands secrets.

La fin du livre est particulièrement pénible. Je me suis endormi plusieurs fois avant d'en venir à bout.

Bref, arrêtons le massacre. J'ai perdu mon temps. Ne perdez pas le vôtre.

5/20

vendredi 22 janvier 2010

Oh happy day

Courir avec des Ciseaux est le premier roman autobiographique d'Augusten Burroughs : il y raconte son enfance. Il s'est révélé bien plus dur que Déboire (ses démêlés avec l'alcool) et Pensée Magique (principalement des brèves sur sa vie quotidienne et quelques souvenirs de jeunesse), postérieurs et dans l'œuvre de Burroughs et dans l'évolution de sa vie.
Heureusement, l'humour et la sensibilité de l'auteur rendent le récit supportable, et même drôle. Raconté de façon plus crue, il serait intenable tant enfant il souffrit de tous les maux possibles :
Parents se déchirant verbalement et s'agressant physiquement avant de se séparer, mère poétesse folle qui l'abandonne aux bons soins de son psy qui en devient le tuteur, violé par le fils de sa famille d'adoption...

Inadapté à son école, il simule avec l'aide du psy une tentative de suicide pour en être dispensé. Il faut dire qu'il ne l'aime pas, son école :
Il y avait un autre problème, d'ordre esthétique. L'imposant bâtiment gris de plain-pied m'évoquait une usine spécialisée dans la production à la chaîne d'aliments à base de viande hachée, ou la fabrication d'yeux en plastique pour animaux en peluche. En aucun cas ce n'était le genre d'endroit où je pouvais avoir envie de passer du temps dans la vraie vie. Le cinéma d'Amherst, à l'inverse, était pile le lieu type où j'avais envie de traîner. Il y avait même un coin fumeur. J'aimais bien également le Chess King, au Hampshire Mall. Ils y vendaient des chemises avec bandes réfléchissantes incorporées et de formidables pantalons blancs habillés au pli permanent.

C'est émouvant, souvent drôle, notamment quand Augusten et Nathalie, une des filles de la famille, décident de casser le plafond de la cuisine pour "y faire entrer davantage de lumière".

Je laisse le mot de la fin à l'auteur dans ses remerciements :
"Je sais également gré à mon père et ma mère de m'avoir donné, même par inadvertance, une enfance à ce point mémorable."
Grand merci pour ma part à Lily qui m'a permis de connaître ce grand auteur.


17/20

PS : Le livre a été adapté au cinéma en 2007, sous le même titre et avec une fort belle distribution : Alec Baldwin, Gwyneth Paltrow, Annette Bening, Joseph Fiennes

jeudi 14 janvier 2010

La saga Vorkosigan

Saviez-vous que la saga Miles Vorkosigan de Lois MacMaster Bujold a obtenu plus de prix Hugo qu'aucune autre avant elle (quatre, il me semble, dont trois romans et une nouvelle) ?


Les romans peuvent se lire de façon (relativement) indépendante, et doivent une partie de leur charme au fait que l'auteur joue de l'un à l'autre sur des registres différents. Lois MacMaster Bujold (que ce nom est long...) n'a définitivement pas une belle plume. En revanche, et comme je l'ai déjà dit ici, c'est une conteuse d'histoires hors pair, qui de surcroit se renouvelle sans cesse. Elle n'écrit pas deux fois le même roman.

Voici mes quatre dernières proies (par ordre chronologique) :

Les Frontières de l'Infini
Recueil de nouvelles, dont deux particulièrement marquantes : Les Montagnes du Deuil, où Miles part enquêter dans une région reculée de son district et se heurte au poids des traditions. Dont la tradition de mettre à mort les enfants "mutants". Ayant lui-même extérieurement tout du mutant, petit et difforme, son enquête n'est pas facilitée.
La dernière nouvelle m'a marqué encore davantage. Un camp de prisonniers. Plat. Sous une cloche. Seul relief : des toilettes posées au centre. Dix mille hommes et femmes. On entre dans le camp juste avec un bol et une couverture. La nourriture est livrée au travers d'une paroie, chaque fois différente.
Il suffit de cinq minutes à Miles après son entrée pour se retrouver nu, au sol, blessé suite à une agression l'ayant privé de son maigre bagage.


La Danse du Miroir
Excellent roman. Imposable du début à la fin. Le clone de Miles usurpe sa place, détourne un vaisseau de guerre et part accomplir une vendetta personnelle. Miles part à sa poursuite. L'opération échoue et se termine en bain de sang. Miles n'a pas d'autre solution que d'aller le sauver, laser à la main. C'est là qu'il meurt. Rythme haletant et finesse de l'analyse psychologique se succèdent. Un grand moment que je ne veux pas déflorer davantage.



Komarr
Petit passage à vide, je trouve. Le roman se perd un peu dans sa propre intrigue et le style contemplatif fatigue. A croire que l'auteur n'avait pour principale ambition avec Komarr que de faire apparaître le personnage d'Ekaterin, qu'elle adore, et qui sera au cœur du roman suivant.

Ekaterin
Fini le space opera. Pas une seule bataille spatiale. Miles est sur Barrayar, sa planète natale, où il siège au conseil des Comtes. Il fait parallèlement sa cour à Ekaterin.
Le roman tourne autour d'intrigues politiques et de la désastreuse cour que Miles mène auprès d'Ekaterin. Le style est surprenant, mais cet effet de surprise fait parti des raisons pour lesquelles MacMaster Bujold est si agréable à lire. On n'est jamais mené là où on l'en pense aller.

Si vous en avez l'occasion, ne faites pas comme moi, lisez plutot les romans dans l'ordre chronologique (même si ce n'est pas l'ordre dans lequel l'auteur les a écrits). Mais en tous cas, lisez-les.
Voici un lien Wikipedia qui aide à y remettre de l'ordre : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_McMaster_Bujold

17/20 pour l'ensemble avec un 18/20 pour la Danse du Miroir

mardi 12 janvier 2010

Au Prix du Papyrus

Au Prix du Papyrus est un ensemble de nouvelles du grand Isaac Asimov. C'est d'ailleurs pour cela que je l'ai acheté. Toujours facile de se rabattre sur une valeur sure lorsque les rayons de la librairie ne sont pas source d'inspiration nouvelle.
Erreur. Piège.
Pour être un grand homme, il suffit d'avoir accompli une fois une grande chose. Isaac Asimov, en tant que grand auteur, n'a pas écrit que de grands romans et de grandes nouvelles.
La preuve, cet assemblage hétérogène de nouvelles de piètre qualité, écrites à des moments divers et regroupées visiblement plus dans le cadre d'une démarche marketing que par amour des belles lettres.
A éviter.


8/20