lundi 23 août 2010

Entre les lignes

Euphorisant. Délivrez-moi, deuxième tome des aventures de Thursday Next, enquêtrice littéraire au sein de la Division des Opérations Spéciales (on dit les OpSpecs), par Jasper Fforde, est totalement euphorisant.

Thursday, qui a le pouvoir d'entrer dans les livres et d'en modifier l'histoire, a lors d'une précédente mission, enfermé un criminel notoire dans un poème de Poe, le Corbeau ("qui a mis le Poe dans poème ?", dit joliment l'auteur). Parallèlement, elle a d'ailleurs mis fin à la guerre de Crimée, qui se poursuivait entre le Royaume-Uni et la Russie depuis plus d'un siècle.
Devenue médiatique suite à ses exploits, elle va faire l'objet d'un chantage pour délivrer l'individu. Ses ennemis n'ont pas hésité à éradiquer son compagnon, par une subtile intervention peu avant sa naissance, afin de faire pression sur elle. Il n'existera à nouveau que si elle se soumet.

Extrait p95 :
- Je vois mal Mycroft prendre sa retraite, commentais-je tandis que nous marchions sur le trottoir.
- Moi aussi, dit Landen. Que crois-tu qu'il va faire maintenant ?
- Regarder Kezako Quiz, très vraisemblablement. Il prétend que les feuilletons et les jeux télévisés sont le meilleur moyen de partir en douceur.
- Il n'a pas tort. Après plusieurs années de 65 rue Morse, la mort peut apparaître comme une distraction bien venue.


Roman foisonnant d'idées et d'humour, fou mais pas trop, voilà une lecture plus que recommandable.


17/20

lundi 16 août 2010

Temps mort

R.J. Ellory a écrit Seul le Silence. Il l'a écrit en noir et blanc pour toute la partie se déroulant dans l'Amérique des marais de Géorgie, et a rajouté brièvement quelques touches de couleur pour celle à New York. Curieuse et troublante coexistence de ces deux planètes au sein d'un même pays.
Le roman s'étale sur une trentaine d'années, invitant à suivre le narrateur alors qu'il n'est encore qu'un jeune garçon dans sa traque d'un tueur de petites filles. Un tueur dont l'horreur touche à l'indescriptible.


Ellory a le don de la description :
P226 : Le shérif Burnett Fermor, l'air dur, le visage comme un amas d'angles biscornus, le pouce de la main gauche bien enfoncé sous son ceinturon, la paume de sa main droite posée sur la crosse de son revolver.
"Tiens, salut, mon gars", lança-t-il d'une voix traînante. Les muscles de sa mâchoire se contractaient lorsqu'il parlait. Il plissait les yeux à cause du soleil, ce qui lui donnait l'air de quelqu'un sortant d'une cave et découvrant la lumière du jour, quelqu'un qui aurait été enfermé au sous-sol pour sa sécurité et celle des autres.

On le hait et on le craint, ce flic, alors qu'il n'a encore rien dit, rien fait. Grand Ellory.

P379 : Balloté dans un véhicule exigu et sans air, je découvrais les sons et les odeurs de gens différents : un soldat derrière moi, des décorations en loques agrafées autour du bord de son chapeau, des mélodies jaillissant d'un harmonica fêlé qu'il tenait à la main, son esprit perdu dans quelque sombre souvenir d'Europe qui le hanterait à jamais. J'avais l'impression d'entendre des fantômes. Une femme âgée, son visage comme un parchemin dont le message aurait été effacé, les yeux tels des trous percés dans la lueur du jour pour trouver la paisible obscurité de l'autre côté. [...] Serrés les uns contre les autres tandis que la nuit approchait, tandis que nous descendions du bus dans des villes comme Goose Creek et Roseboro, Scotland Neck et Tuckahoe, dans des motels bons marchés. Draps fins et murs gris, couvertures trop maigres pour couvrir à la fois nos visages et nos pieds, tremblant inconfortablement, défiant la nature, luttant contre l'insomnie.

Le narrateur ne le précise pas, mais le lecteur sait bien au fond de lui-même que le temps est gris et qu'il pleut.

Après, et je m'en excuse auprès de ceux qui m'ont conseillé ce splendide roman - un roman de désespoir, un roman dont couleur et chaleur ont été bannies- je ne retire que de la douleur à lire un texte aussi sombre. Uniquement sombre, je n'ai rien su en tirer d'autre. Je ne saurais donc le recommander malgré sa beauté.

17/20