vendredi 10 juin 2011

Tirons un trait

J'avais tant apprécié la façon dont Michel Pastoureau avait expliqué la place des animaux dans l'histoire au moyen d'une cinquantaine de tableaux, que je ne pouvais m'arrêter là dans la découverte de ce grand historien.
Je me suis jeté, avec impatience mais circonspection, sur "L'Etoffe du Diable, une histoire des rayures et des tissus rayés". Oui, dit comme ça, cela paraît curieux.
Et comme de juste, ce fut passionnant. Prenant appui sur des références bibliques et moyen-âgeuses, Pastoureau va disséquer les signification du rayé et leurs évolutions, tant dans les habits que sur les blasons, meubles ou drapeaux... L'impact de la Révolution, du développement des vacances à la mer, le rôle de la bande-dessinée...
C'est rigoureux, précis, incisif et passionnant.


Extrait p19 Edition Points, sur le manteau des Carmes :
[Le manteau] est rayé, soit blanc et brun, soit, plus rarement, blanc et noir. De bonne heure est apparue une légende expliquant l'origine biblique et célestielle de ce manteau à rayures. Il s'agirait d'une copie du manteau du prophète Elie, fondateur mythique du Carmel : enlevé au ciel sur un char de feu, il aurait jeté à son disciple Elisée son grand manteau blanc, lequel aurait gardé, sous forme de rayures brunes, les traces roussies de son passage au travers des flammes. Jolie légende des origines, mettant en scène une des figures bibliques qui ont le plus fasciné les hommes du Moyen Age : Elie, héros messianique, est un des rares personnages de l'Ecriture qui ne meurent pas. Elle souligne en outre la valeur symbolique de l'investiture par le manteau : pour la culture médiévale, tout manteau est support de signes et toute remise de manteau est liée à un rite de passage, à l'entrée dans un état nouveau.
[...]
Ce qui compte, c'est que ce manteau soit rayé, c'est à dire qu'il ne soit pas uni, qu'il ne ressemble pas à celui des autres ordres -mendiants, monastiques ou militaires -, en un mot qu'il fasse écart. De fait, il fait un écart tellement fort qu'il débouche, malgré lui, sur la transgression.
Dès leur arrivée à Paris, les carmes sont victimes des moqueries et des injures de la population. On les montre du doigt, on les invective, on les tourne en dérision en les surnommant "les frères barrés", expression particulièrement péjorative, les barres désignant en ancien français non seulement les rayures mais aussi les différentes marques de bâtardise (sens qui s'est conservé dans la langue du blason).

Une lecture courte et passionnante qui a le don de changer le regard sur les rayures que nous croisons au quotidien et au signifiant que nous y accolons, souvent inconsciemment.

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