dimanche 23 janvier 2011

Fragile réalité

S'il est un cas en littérature où l'expression "âge d'or" n'est pas galvaudée, c'est bien la SF américaine des années 40 et 50. Philip K Dick, maître en narration de nouvelles, décline dans Paycheck les différents degrés de la folie et décrit avec art comment cette dernière est tapie juste derrière notre porte, prête à déchirer le voile léger de la réalité quotidienne à laquelle nous nous cramponnons si fort.

Extrait de "Breakfast at Twilight" (p163, Folio) :
"Papa ?" Earl sortit en coup de vent de la salle de bain. "Tu nous conduis à l'école aujourd'hui ?"
Tim McLean se resservit du café. "Pour une fois les enfants, vous irez à pied. La voiture est en réparation."
Judy fit la moue. "Mais il pleut !
- Non, rectifia sa soeur Virginia en écartant le store. Il y a beaucoup de brouillard, mais il ne pleut pas.
- Voyons !" Mary McLean s'essuya les mains et délaissa son évier. "Quel drôle de temps. C'est du brouillard, ça ? On dirait plutôt de la fumée. On n'y voit rien du tout. Que dit la météo ?
- Je n'ai rien pu capter à la radio, dit Earl. Juste des parasites."
Tim eut un mouvement de colère. "Cette saleté s'est encore détraquée ? Je venais pourtant de la faire réparer." Encore tout ensommeillé, il alla manipuler distraitement les boutons de l'appareil.
Les trois enfants allaient et venaient en toute hâte en se préparant pour l'école.
"Curieux, reprit Tim.
-J'y vais" Earl ouvrit la porte d'entrée.
"Attends tes soeurs, lui ordonna Mary d'un air absent.
- Je suis prête dit Virginia. Je suis bien ?
- Très bien, répondit Mary en l'embrassant.
- J'appellerai le réparateur depuis le bureau", dit Tim.
Il s'interrompit. Earl se tenait à la porte de la cuisine, pâle, silencieux, les yeux écarquillés de terreur.
"Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je... je suis revenu.
- Pourquoi ? Tu es malade ?
- Je ne peux pas aller à l'école."
Ils le dévisagèrent. "Qu'est-ce qui ne va pas ?"
Tim le prit par le bras. "Pourquoi tu ne peux pas aller à l'école ?
- Ils... ils ne me laissent pas.
- Qui ?
- Les soldats." Tout à coup, les mots se bousculèrent. "Il y en a partout et ils viennent par ici.

Le nom du volume, Paycheck, est celui d'une nouvelle qui a été adaptée au cinéma par John Woo avec Ben Affleck et Uma Thurman. Je n'ai pas vu le film, mais la nouvelle est pétillante d'idées.


Inventivité, paranoïa et parfum de 50's, il n'y a que de bonnes raisons d'ouvrir ce recueil de nouvelles, avec le même plaisir qu'était celui de regarder des épisodes de la 5e Dimension.

17/20

vendredi 21 janvier 2011

Soap Opera

This is the end.
My only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end

Oui, la fin, car cela suffit. Le Cor de Valere et La Bannière du Dragon, respectivement tomes 3 et 4 du cycle la Roue du Temps de Robert Jordan, sont, pour moi, la fin du cycle (jusqu'à ce que j'y retombe, dans un moment de faiblesse). Je ne lirai pas les 21 tomes.

L'auteur n'est pas dénué de talent, ni d'idées, mais il tire à la ligne de façon totalement outrancière. De temps, en temps, il se passe quelque chose. Ces scènes "actives" sont d'ailleurs, paradoxalement, souvent traitées trop vite, pour retomber tristement dans l'état contemplatif . Combien de fois... combien de fois ai-je relu pendant ces quatre tomes un des héros se lamenter sur le thème "oh, pourquoi ne sommes-nous pas restés chez nous ? Pourquoi les Aes Sedai sont-elles venues s'immiscer dans nos vies. Elles nous le paieront." Si je dis quarante fois, je suis certain d'être en dessous de la réalité, et non, je ne me livrerai pas à un décompte systématique.

De surcroit, l'histoire est complexifiée à l'excès, au détriment d'une trame plus pure. Ainsi, dire qu'il existe sur le continent des portes ouvrant sur des chemins passant par un monde parallèle, dangereux mais permettant de gagner du temps de trajet, soit. Mais qu'il existe un autre type de portes, ouvrant sur d'autres mondes parallèles, et dont les héros se servent à peu près pour la même chose, c'est trop.



Pour conclure, ces deux tomes se lisent bien, facilement, mais leur manque d'éclat, de rythme, font qu'une fois le livre posé, on n'a pas particulièrement envie de le rouvrir.

13/20